Les IPP, médicaments antiacides : Le point de vue de la santé fonctionnelle – par Guénaëlle Abéguilé

À la rencontre de ce mal aimé : l’acidité gastrique

Notre estomac fabrique de l’acide chlorhydrique. Dit comme ça… Ça fait un peu peur ! Et pourtant, cette acidité gastrique est essentielle à notre pleine santé.

À quoi sert cette acidité gastrique ?

L’acidité gastrique à de multiples fonctions, parmi lesquelles :

  • La stérilisation du bol alimentaire.
  • L’activation de la pepsine, enzyme protéolytique (qui digère les protéines).
  • L’activation de la lipase gastrique (enzyme qui digère les graisses), favorisant la vidange de l’estomac.
  • L’activation de la synthèse et de la sécrétion de la bile, qui permet de digérer et d’absorber les graisses et molécules liposolubles (Vitamines A, D, E, K, CoQ10, polyphénols, caroténoïdes…).
  • L’activation de la synthèse et de la sécrétion des sucs pancréatiques, qui digèrent l’ensemble des nutriments.
  • Le maintien d’un Ph intestinal modérément acide, permettant une meilleure absorption des micronutriments et le maintien d’un microbiote optimal.
Que se passe-t-il en cas de manque d’acidité gastrique ?

L’hypochlorhydrie correspond à l’insuffisance de production d’acide chlorhydrique par l’estomac. Étant donné l’importance de l’acidité gastrique et ses multiples fonctions, en cas d’hypochlorhydrie, les conséquences seront multiples et variées. Je vous laisse les découvrir en schéma :

Schéma : « Hypochlorhydrie : conséquences »

Notons que les conséquences ici décrites vont à leur tour perturber de très nombreuses fonctions. Ainsi, les déficits micronutritionnels et les dysbioses induites par les IPP peuvent perturber toutes les fonctions de l’organisme : fonctions digestives, mais aussi fonction détox, fonctions immuno-inflammatoires, fonctions métaboliques, fonctions neuropsychiques et fonctions hormonales.

Comment savoir si je suis en hypochlorhydrie ?

La clinique est assez informative : ballonnements ressentis au niveau de l’estomac, pesanteur gastrique, éructations, parfois haleine putride peuvent nous mettre la puce à l’oreille.

Pour le vérifier, nous pouvons conseiller le test au bicarbonate de soude. Ce test n’est pas parfait, il est toutefois assez amusant et peut nous orienter.

Test au bicarbonate de soude :

Comment procéder ?

  • À jeun le matin, mettre 1 c.à.c de bicarbonate de soude dans un demi-verre d’eau.
  • Boire et lancer aussitôt le chronomètre.
  • Un rôt doit arriver. Plus il arrive tôt, plus cela signe une bonne acidité gastrique.
  • Renouveler 3 fois, toujours à jeun, et faire une moyenne des scores.

Interprétation :

  • Rôt immédiat → hyperchlorhydrie (excès d’acidité gastrique)
  • Rôt entre 1 à 2 min → Normochlorhydrie (acidité gastrique optimale)
  • Rôt entre 2 et 5 minutes → Hypochlorhydrie (insuffisance d’acidité gastrique)
  • Rôt > 5 min ou inexistant → hypochlorhydrie sévère
Quelles sont les causes d’hypochlorhydrie ?

Face à toute hypochlorhydrie, il faudra s’interroger sur la cause : sommes-nous en présence d’une hypothyroïdie, de stress, d’un âge avancé ? Et bien sûr les inhibiteurs de la pompe à proton, les IPP, ces fameux médicaments contre l’acidité gastrique !

Que faire en cas d’hypochlorhydrie ?

La réponse est : prendre en charge la cause !

Plus difficile lorsque celle-ci est l’âge…

Quoi qu’il en soit, en attendant que la cause soit prise en charge, ou s’il est impossible de la prendre en charge, on peut recommander la prise d’acide chlorhydrique bétaïne en complément alimentaire. Vous en trouverez en gélule dans les laboratoires spécialisés en micronutrition ! Il en existe seul ou accompagné d’enzymes digestives. Nous recommanderons une prise en début de repas. La fréquence de prise est à adapter en fonction du ressenti du patient. Ce type de complément peut s’avérer très efficace, mais ne doit pas être suffisant en soi : n’oublions pas de prendre ne charge la cause !

L’acide chlorhydrique bétaïne sera contre-indiqué en cas d’ulcère, d’œsophagite ou en cours de sevrage d’IPP.

Les IPP : ces médicaments antiacides, mais pas que…

Les IPP, inhibiteurs de la pompe à proton, sont les médicaments « anti-acide», prescrits dans le but de réduire la production d’acide gastrique.

Pourquoi vouloir la réduire alors qu’elle est essentielle à notre pleine santé ?

De la même façon que l’on prend souvent une pilule contraceptive à cause de la non-considération de l’ovulation Power, on prend un IPP à cause de la mauvaise considération de l’acidité gastrique !  L’acidité gastrique est victime d’un délit de sale gueule.

  • J’ai du reflux! → C’est parce que vous avez trop d’acidité gastrique !
  • J’ai la gorge qui gratte le matin ! → C’est parce que vous avez trop d’acidité gastrique !
  • J’ai l’estomac lourd après mangé ! → C’est parce que vous avez trop d’acidité gastrique !
  • J’ai mal au ventre quand je suis stressé ! → C’est parce que vous avez trop d’acidité gastrique !
  • Je rote tout le temps ! → C’est parce que vous avez trop d’acidité gastrique !

Et j’en passe ! Tout prétexte est bon pour mettre en cause l’excès d’acidité gastrique. Ainsi présenté, la solution est toute trouvée → Prenez des IPP !

Précisons que les plaintes évoquées ci-dessus correspondent la plupart du temps à des troubles fonctionnels et non médicaux, ainsi, la prise en charge adaptée devrait être fonctionnelle et non médicamenteuse !

Présenté alors comme LA solution, prescrits à outrance, les IPP font des ravages !

Quelles sont les conséquences de la prise d’IPP ?

Parmi les conséquences de ces médicaments, citons : l’altération de la digestion dans sa globalité, dysbiose de putréfaction et ses conséquences, SIBO, déficit en zinc, en fer, en cuivre, en manganèse, en vitamine B12, mais aussi en magnésium.

Comme nous pouvons le lire dans le Vidal®, les carences profondes en magnésium induites par les IPP, peuvent, dès 3 mois de traitement entraîner des troubles plus ou moins graves comme de la fatigue, de la tétanie, des bouffées délirantes, des convulsions, des sensations vertigineuses, de l’arythmie ventriculaire.

Avez-vous reçu ces informations lorsque l’on vous a prescrit ou renouvelé votre traitement ? Vous a-t-on conseillé de prendre du magnésium pour compenser cet effet anti-nutritionnel ?

Et ce n’est pas tout !

Ces médicaments augmentent de 20 à 50% le risque de développer une insuffisance rénale chronique. (1)

Les fonctions cognitives ne sont pas en reste, puisqu’une vaste étude de cohorte effectuée en 2022 a conclu, après ajustement des facteurs de confusion, que les IPP augmentent significativement le risque de démence ! (2)

Probablement à cause des dysbioses et carences induites par les IPP, des études ont mis en évidence un risque majoré de déclarer un Covid 19, et ce, dès aout 2020 (3) !

Comme la plupart des médicaments, ils ont pourtant bien leur place. Leur prescription devrait se limiter à ces seules indications : ulcère gastro-duodénal, œsophagite (de grade C ou D selon la classification de Los Angeles) et œsophage de Barett. La coprescription, souvent systématique avec les AINS n’a pas lieu d’être. Elle peut avoir un intérêt uniquement pour les personnes à risques de complications gastro-duodénales (4). Même dans ces cas, le renouvellement de la prescription ne doit pas être systématique. Le traitement doit être réévalué régulièrement. Sortis de ces critères, ils n’ont pas d’utilité ! Malheureusement, ces indications légitimes ne représenteraient que 5% à 10% des prescriptions. En d’autres termes : 90 à 95% des patients sous IPP devraient être sevrés !

Quid de l’impact des IPP sur l’équilibre hormonal ?
  • En entrainant des dysbioses de putréfaction, l’IPP favorise le passage de fraction bactérienne, que nous appelons LPS (pour lipopolysaccharides) dans l’organisme. Ces molécules franchissent la barrière intestinale et peuvent venir se fixer sur des récepteurs hormonaux. Ainsi, ils peuvent être responsables de résistance aux hormones. L’hormone ne peut plus se fixer sur son récepteur, la place est déjà occupée.
  • Ces mêmes molécules, les LPS, induisent de l’inflammation. Ce terrain inflammatoire modifie considérablement l’imprégnation hormonale. Ainsi, l’inflammation augmente notre sensibilité aux œstrogènes, tandis qu’elle nous rend résistants à la progestérone. Ceci peut expliquer une clinique évoquant un déséquilibre oestro-progestéronique malgré un statut hormonal optimal. L’inflammation modifie également notre sensibilité aux androgènes et aux hormones thyroïdiennes.
  • La dysbiose impacte également l’élimination des œstrogènes, ce qui contribue à l’hyperœstrogénie.
  • Enfin, du fait des carences induites par les IPP, les micronutriments indispensables à la synthèse, à la conversion, à l’activation des récepteurs et/ou à la détoxication des différentes hormones peuvent manquer. S’ensuivent des perturbations profondes de l’imprégnation hormonale.
  • La carence de magnésium peut, quant à elle, induire du stress, qui à son tour impactera l’équilibre hormonal dans son ensemble.
Comment aider au sevrage des IPP ?

Le sevrage des IPP est souvent appréhendé par nos patients. En effet, la plupart souffrent dès qu’ils oublient un comprimé pendant une journée.

  • « Cela est bien la preuve que j’en ai besoin ! »

Non, pas du tout ! Pendant que l’on prend un IPP, notre synthèse d’acide chlorhydrique est bloquée. Essayant toujours de rétablir l’équilibre, notre organisme va tout faire pour relancer la machine. Une hormone va alors augmenter : la gastrine. Dans les conditions physiologiques, cette dernière a pour but d’augmenter la synthèse d’acide chlorhydrique. En présence d’IPP, rien ne se passe comme prévu. La gastrine est au plafond, mais les cellules à l’origine de la production d’acide gastrique ne sont pas en mesure de répondre.

En revanche à l’arrêt de l’IPP, la production d’acide chlorhydrique est de nouveau possible. Possible, et même très intense, puisque la gastrine, qui est au plafond stimule cette production. Il y a donc une hyperchlorhydrie (excès d’acide chlorhydrique) réactionnelle à l’arrêt de l’IPP. Désagréable, voire insupportable pour le patient, ce phénomène est responsable des nombreux échecs de sevrage.

Ainsi, il faudra en tenir compte dans nos recommandations.

Sevrage des IPP, mes conseils :

  • Il faudra être PROGRESSIF+++. Aussi progressif que le patient en a besoin. C’est lui et lui seul qui guidera la vitesse de son sevrage, en fonction de ses désagréments. Certains y parviendront très rapidement, d’autres auront besoin de plusieurs mois.
  • En amont du sevrage : se complémenter en magnésium pendant 1 mois minimum. Poursuivre la complémentation pendant toute la durée du sevrage. Dosage à évaluer avec votre praticien de santé fonctionnelle.
  • Bien mastiquer++++
  • Pratiquer de la cohérence cardiaque 5 min avant le repas : cela stimule le nerf vague qui aide à la digestion
  • Aidez-vous avec la ou les plantes les plus adaptées à votre terrain. La sélection des plantes, leur posologie et leur forme sont à évaluer avec votre praticien formé en santé fonctionnelle. Il vérifiera également l’absence de contre-indications en fonction de votre terrain et de vos antécédents. Je les cite ici à but informatif uniquement.
    • En cas de digestion lente, difficile, pesanteur gastrique après le repas : gingembre
    • En cas de brûlure gastrique : réglisse, aloe vera, fleurs de mauves, racine de guimauve…
    • En cas de troubles gastriques accentués par le stress : mélisse, gentiane…

Guénaëlle AbéguiléFormatrice en Santé Fonctionnelle, spécialisée en Hormonologie

(1)   Lazarus B, Chen Y, Wilson FP, Sang Y, Chang AR, Coresh J, Grams ME. Proton Pump Inhibitor Use and the Risk of Chronic Kidney Disease. JAMA Intern Med. 2016 Feb;176(2):238-46. doi: 10.1001/jamainternmed.2015.7193. PMID: 26752337; PMCID: PMC4772730.

(2) Zhang P, Li Z, Chen P, Zhang A, Zeng Y, Zhang X, Huang Q, Liu D, Qi S, Mao C. Regular proton pump inhibitor use and incident dementia: population-based cohort study. BMC Med. 2022 Sep 1;20(1):271. doi: 10.1186/s12916-022-02478-y. PMID: 36045363; PMCID: PMC9434890.

(3) Almario CV, Chey WD, Spiegel BMR. Increased Risk of COVID-19 Among Users of Proton Pump Inhibitors. Am J Gastroenterol. 2020 Oct;115(10):1707-1715. doi: 10.14309/ajg.0000000000000798. PMID: 32852340; PMCID: PMC7473791.

(4) Bon usage des inhibiteurs de la pompe à proton (IPP) ; haute autorité de santé ; recommander les bonnes pratiques. 2022 Sep

Pour aller plus loin

La démarche fonctionnelle appliquée à la prise en charge des troubles du microbiote : SIBO, IMO et SIFO

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