Au sujet du gluten, y a de quoi s’engluer ! Par Bruno Mairet

En nutrition, le gluten est sans doute aujourd’hui l’ennemi publics N° 1.  Or, nous allons montrer qu’il y a parfois association de malfaiteurs (!) et que l’accusation suivie de l’exclusion systématique du gluten peut être une solution un peu (trop) facile. Mais avant d’aller plus loin, précisons certaines choses. D’un point de vue biochimique, il faut déjà préciser que ce que l’on appelle communément le gluten, n’est pas une unique substance, mais un ensemble de molécules : il s’agit précisément de deux familles de protéines. Il faut savoir que plusieurs dizaines de résidus protéiques ont été identifiés comme toxiques ! Cette précision pour dire d’emblée que le sujet du jour (le gluten) est plus complexe qu’il n’y parait. Complexité qui apparaît aussi dans les 3 types de problèmes de santé que peut générer le gluten. Il est important de les distinguer. On peut être allergique aux protéines du gluten (avec asthme, rhinite, eczéma, vomissement…) comme on peut être allergique aux protéines de lait . On peut développer avec le gluten, la maladie auto-immune appelée maladie cœliaque. Et on peut être hypersensible au gluten.  C’est de ce dernier problème, dit hypersensibilité non cœliaque au gluten, dont nous allons parler dans cet article.

Gluten free : j’y vais ou j’y vais pas ?

La description de l’hypersensibilité au gluten date de 1978, mais c’est seulement à partir de 2010 que l’intérêt d’un nombre important de scientifiques pour cette maladie se manifeste définissant les années suivantes ses caractéristiques (1). Vous avez des douleurs abdominales, des ballonnements, des diarrhées/constipations, des prurits, de la fatigue chronique, des douleurs musculaires et articulaires, et des migraines. Vous avez lu ou on vous a dit qu’il s’agissait peut être d’une série de problèmes liés au gluten… et vous avez aussi lu ou entendu qu’en supprimant le gluten de votre alimentation vous alliez retrouver la santé ! La proposition est tentante, mais vous êtes encore prudent parce que vous avez le sentiment aussi que le gluten-free est une vaste mode et/ou un problème de santé… de riche. Bref, vous hésitez à franchir le pas vers un régime contraignant pour vous et votre famille (et coûteux), sans avoir la certitude que c’est bien le gluten la clef de votre problème.  Est-ce réellement la  bonne chose à faire ? On (encore lui !!) vous a dit qu’il existait un test pour savoir si l’on était hypersensible au gluten. C’est un test de recherche des IgG anti gluten, comme il y a des tests pour la recherche d’IgG anti caséine (protéine de lait), IgG anti ovalbumine (protéine de l’œuf)… etc… Il existe des centaines de recherches d’IgG anti protéines alimentaires… Ce test vous parait la solution pour que vous soyez confirmé (ou pas) dans votre gluten-free transition !  Mais vous avez dorénavant une nouvelle question.

Le test IgG anti gluten est-il fiable ?

On retrouve les IgG anti gliadine (une des protéines du gluten) dans 56% des cas de personnes hypersensible au gluten, soit environ 1 cas sur 2. Autant dire que c’est un test peu fiable. Vous pouvez avoir des faux négatifs, c’est à dire que vous pouvez avoir une hypersensibilité au gluten (non cœliaque) sans avoir de réponses positives aux IgG anti gliadine. Il existe aussi des faux positifs : vous pouvez retrouver les IgG anti gluten élevées sans avoir de troubles fonctionnels (2). Peut-on conclure pour autant qu’il ne sert à rien de faire ce test ?! Je ne serai pas si radical. Je dirai plutôt que ce test doit être entrepris dans un cadre plus vaste d’exploration du microbiote et de la muqueuse intestinale.

Hypersensibilité au gluten et leaky gut

Savez-vous que dans des conditions de santé, la muqueuse de notre intestin doit être semi-perméable, c’est-à-dire perméable très essentiellement à des petites molécules alimentaires (acides aminés, glucose, acides gras, vitamines…), mais imperméable à des moyennes ou grosses molécules (protéines ou polypeptides notamment) et à des micro organismes comme des bactéries. Notre muqueuse intestinale a donc une double fonction. La plus connue c’est sa fonction d’absorption des nutriments. Moins connue, mais non moins fondamentale, la muqueuse possède aussi une fonction de barrière. Elle s’oppose à la pénétration des éléments protéiques non digérés qui sont dangereux pour notre corps car antigéniques. Lorsqu’une protéine de lait de vache traverse la barrière intestinale, notre corps pense qu’il est envahi par les vaches !!  Image caricaturale mais cependant bien réelle car le corps va traiter cette protéine de vache comme un élément étranger et déclencher la guerre : l’inflammation ! Ainsi, si cette fonction de barrière est altérée de nombreux antigènes passent dans notre corps et une inflammation se déclenche. C’est ce qui se passe dans le cas de l’hypersensibilité au gluten. Il a été en effet montré que la gliadine (une des protéines du gluten) provoque une altération de la fonction de barrière chez les gens hypersensibles au gluten (3). On appelle cela un leaky gut : un intestin poreux, ou intestin hyper perméable. Ce concept de leaky gut est très important pour comprendre de nombreuses souffrances  intestinales et aussi de nombreux problèmes chroniques. Le gluten donc altère la barrière intestinale. Mais c’est un cercle vicieux car l’altération de la barrière intestinale augmente le passage des protéines du gluten à travers la muqueuse. Qui est la poule, qui est l’œuf ? Est-ce le gluten qui provoque le leaky gut ? Ou le leaky gut qui provoque le passage du gluten et donc l’hypersensibilité ? Il est fort probable que les deux mécanismes s’auto-alimentent.

Cette conclusion a des conséquences importantes. Si on se contente de supprimer le gluten mais qu’il existe un leaky gut ayant une autre cause que le gluten (ou ayant plusieurs causes dont le gluten !), que va t-il se passer ? Certes, il est fort probable que les problèmes intestinaux s’estompent grandement. Mais il est aussi probable que le leagy gut perdure. Or, un leaky gut est une source d’inflammation chronique bien problématique : hyperinsulinisme, surpoids, risques cardiovasculaires, problèmes neurologiques, articulaires… Bref, on peut en supprimant le gluten se débarrasser de nombreux symptômes mais laisser perdurer un état de leaky gut néfaste pour la santé sur bien des aspects. C’est ainsi que le gluten devient l’arbre qui cache la forêt. On s’occupe du gluten, on ne voit que lui, mais on oublie le reste qui est sans doute tout aussi important et notamment ce fameux leaky gut.

Soigner le leaky gut

Pour en revenir à notre test IgG anti gluten. Il est intéressant dans la mesure où on l’associe à une évaluation de l’ensemble du microbiote et de la barrière intestinale. Parmi les principaux tests citons:

  • Test de l’évaluation de l’activité métabolique du microbiote : DMI (Dysbiose Mycose Intestinale) ou MOU (Métabolite Organique Urinaire) suivant le laboratoire.  Ce test permet en premier lieu d’objectiver la présence d’une dysbiose. Si cette dernière est présente, il permet de qualifier la dite dysbiose. Est-on en présence d’une prolifération fongique (candidose précisément) ? Ou s’agit-il plutôt d’une dysbiose de fermentation ? D’une dysbiose de putréfaction ? Cette qualification orientera grandement la prise en charge.
  • Test de la Zonuline,  une protéine synthétisée par les cellules de la muqueuse ( et par l’hépatocyte également). Cette protéine régule la fonction de barrière intestinale. Une augmentation de la Zonuline est liée à une perte de cette fonction, à des “fuites” d’antigènes alimentaires et de pathogènes, associées à des risques accrues de maladies inflammatoires chroniques.
  • Test de la LBP.  Sans doute, un des marqueurs les plus spécifiques. Un intestin poreux conduit à un passage de bactéries dites gram négatif dans la circulation sanguine. Cette catégorie de bactéries présente à sa surface une molécule complexe (un lipopolysaccharide), le LPS. Pour neutraliser ce type de pathogènes le foie produit une protéine  inflammatoire, appelé LBP, dirigée contre le LPS. Ce qui est important pour nous en micronutrition c’est que cette protéine inflammatoire est un très bon marqueur révélant la présence de passage de bactéries intestinales dans le sang … et donc mettant en évidence la perméabilité intestinale.

Ainsi vous l’avez compris, en micronutrition on va chercher à obtenir une image précise de la fonction barrière pour pouvoir la soigner dans son ensemble. Au lieux d’une exclusion totale du gluten (qui pourra cependant peut-être s’imposer parfois !) on pourra proposer plusieurs choses dans une démarche globale de rééducation en micronutrition. Savez-vous déjà que manger stressé et ne pas mastiquer est une source importante d’inflammation et donc de leaky gut ? Il est donc bien possible qu’en mastiquant mieux  et en diminuant les quantités de gluten on puisse éviter une exclusion totale ! Tout simplement. Mais aussi on peut proposer une restauration de la barrière intestinale: il existe des nutriments spécifiques pour cela. Enfin une pourra corriger une éventuelle dysbiose grâce à une alimentation adaptée. Bref, il faut s’occuper de la forêt et pas uniquement de l’arbre gluten qui est devant !  Ceci est une vraie démarche de santé intégrative.

Bruno Mairet, Consultant et formateur en Santé Fonctionnelle et cofondateur de DFM Formations

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